Première transplantation cardiaque réussie après le voyage transatlantique du greffon

Vincent Richeux

30 avril 2024

Paris, France —Une équipe française a pu transplanter un cœur à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, après un transport en avion depuis les Antilles grâce à un nouveau dispositif qui a permis de préserver le greffon pendant 12 heures. Un exploit puisque le délai de préservation pour un cœur avec la méthode conventionnelle est de 4 heures maximum entre le prélèvement et la greffe.

Cette transplantation a été décrite dans une lettre publiée dans le Lancet[1]. Il s’agit de la première à être réalisée dans le cadre de l’étude PEGASE, qui vise à évaluer le dispositif de préservation de la société suédoise Xvivo utilisant une perfusion hypothermique oxygénée. Il est prévu d’effectuer un total de sept transplantations cardiaques en deux ans avec l’aide du dispositif.

« En augmentant la durée de préservation, on s’affranchi des facteurs limitants liés à la distance et au temps de transport. On peut alors envisager de recourir à des greffons actuellement inaccessibles pour des raisons purement logistiques », a commenté le Pr Guillaume Lebreton (service de chirurgie cardiaque, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris), auprès de Medscape édition française.

S’il devient possible d’étendre les durées de préservation avec ce type de dispositif, l’organisation de la transplantation cardiaque serait complètement transformée

Assouplir la logistique de la transplantation

En offrant la possibilité d’accéder à davantage de greffons, le dispositif de préservation pourrait aider à faire face à la pénurie d’organes, a ajouté le chirurgien cardiaque, qui a participé à cette première transplantation. « Aujourd’hui en France, on a un greffon cardiaque disponible pour deux candidats receveurs inscrits sur la liste d’attente ».

« S’il devient possible d’étendre les durées de préservation avec ce type de dispositif, l’organisation de la transplantation cardiaque serait complètement transformée. On ne serait plus obligé d’envoyer une équipe en jet privé au milieu de la nuit pour prélever un coeur en urgence à l’autre bout de la France. La logistique actuelle peut s’avérer très couteuse et même dangereuse. »

Cette préservation prolongée ouvre également des perspectives de développement d’une activité de transplantation dans des zones éloignées, comme en Outre-Mer, explique le Pr Lebreton. Actuellement, les patients des Antilles et de Guyane en attente de greffe doivent se rendre dans l’hexagone pour se faire opérer.

Avec la méthode conventionnelle, la préservation des greffons implique l’utilisation d’une glacière (Vitalpack®) dans laquelle l’organe est placé en hypothermie vers 4°C. Entre le prélèvement et la greffe, le délai à ne pas dépasser est de 3 à 4 heures pour un cœur, 6 heures pour un foie, 6 à 8 heures pour un poumon, 24 à 36 heures pour un rein, rappelle l’Agence de la biomédecine.

Un coeur perfusé et maintenu à 8°C

Plusieurs méthodes alternatives ont été testées pour tenter d’augmenter ce délai.    En 2021, nous rapportions l’utilisation par une équipe française du dispositif de perfusion Organ Care System (OCS) de la société américaine TransMedics. Celui-ci permet d’envisager jusqu’à 6 à 10h de conservation pour un coeur grâce à une technologie visant à conserver la physiologie de l’organe.

Dans ce cas, la machine maintient l’activité du greffon cardiaque pendant le transport par une perfusion coronaire de sang à la température du corps à travers des canulations notamment au niveau aortique, ainsi que par une stimulation électrique qui assure un battement cardiaque à la fréquence de 80 pulsations par minute.

Sur le marché depuis presque 20 ans, le dispositif américain est toutefois très couteux puisqu’il faut compter 45 000 euros par greffe. Par ailleurs, « la perfusion en normothermie est plus difficile à gérer », a précisé le Pr Lebreton, qui a eu l’occasion d’utiliser la machine dans son service. Selon lui, il y a notamment un risque de mal perfuser et, le cœur étant maintenu en activité, il peut souffrir d’un manque d’oxygène.

Le nouveau dispositif XVIVO Heart Assist de la société suédoise a un mode de fonctionnement différent. L’organe est également perfusé en continu avec une solution oxygénée, mais sans être activé. Et, pour renforcer sa préservation et réduire les besoins en oxygène, il est placé en hypothermie à une température de 8°C.

Entant donné que la technologie est moins complexe que celle utilisée dans le dispositif américain, son prix, encore non fixé, devrait aussi être beaucoup moins élevé

Supériorité face à la glacière

Alors qu’aucun dispositif de conservation n’a montré sa supériorité par rapport à la méthode conventionnelle en glacière hermétique, une étude randomisée vient de révéler des résultats en faveur de cette nouvelle machine, qui semble mieux protéger la qualité du greffon en comparaison avec la glacière, du moins dans un délai de moins de 4 heures.

Présentés mi-avril lors de l’International Society of Heart and Lung Transplantation meeting (ISHLT) organisé à Prague (République Tchèque), les résultats ont rapporté presque trois fois moins de dysfonction primaire grave du greffon après une transplantation à partir d’un cœur conservé dans le dispositif de transport XVIVO Heart Assist (11% contre 28% avec la glacière).

Après ces résultats positifs, la machine devrait obtenir un marquage CE « d’ici la fin de l’année », a précisé le Pr Lebreton. Elle pourrait être ensuite facilement adoptée en routine compte tenu de l’amélioration apportée. Entant donné que la technologie est moins complexe que celle utilisée dans le dispositif américain, son prix, encore non fixé, devrait aussi être beaucoup moins élevé.

Dans l’étude PEGASE, le Pr Lebreton et ses collègues veulent démontrer que le dispositif peut également préserver plus longtemps le greffon, en fixant un délai de 12 heures maximum. L’étude est menée par l’AP-HP et l’Institut de cardiométabolisme et nutrition (IHU ICAN), en collaboration avec les CHU de Martinique et de Guadeloupe.

Un tournant dans la transplantation cardiaque?

Pour cette première transplantation, le cœur a été prélevé selon les procédures habituelles dans les Antilles françaises chez un homme âgé de 48 ans en état de mort cérébrale après une hémorragie intracérébrale. L’organe a ensuite été placé dans le dispositif XVIVO Heart Assist et mis sous perfusion hypothermique oxygénée. Le coeur a été transporté jusqu’à Paris par un vol commercial d’Air France.

Le receveur est un homme de 70 ans atteint d’une cardiomyopathie ischémique terminale. Après transplantation, le coeur a immédiatement retrouvé une fonction biventriculaire normale. Le patient a été extubé 10 heures après l’intervention et est sorti de l’hôpital 30 jours après avoir reçu le greffon.

Cette transplantation marque dans tous les cas une nouvelle étape dans l’histoire de transplantation cardiaque puisque c’est la première fois que le coeur d’un donneur traverse l’océan Atlantique pour être transplanté avec succès chez un patient, après avoir couvert une distance de 6 750 km.

« Un exploit auparavant impensable », qui pourrait « redéfinir le paysage de la transplantation cardiaque », ont souligné les auteurs dans la lettre.